François Robin : “La caséologie, c’est l’art de communiquer son ressenti sur un fromage”
Véritable vedette dans le monde des fromages, Meilleur Ouvrier de France, fromager, consultant et expert, François Robin est devenu un incontournable du Salon International du Fromage et des Produits Laitiers. Dans cette interview, il parle de ce que représente la caséologie, où l’art de goûter, d’analyser et reconnaître “scientifiquement” les vertus d’un fromage.
Quels sont les principes fondamentaux de la caséologie ? En quoi influence-t-elle votre perception des fromages?
Si je devais définir ce qu’est la caséologie, je dirais qu’elle est au fromage ce que représente l’œnologie pour les vins. En fait, c’est le mot savant pour goûter, concentrer ses sens sur les qualités et, en tant que professionnels, également sur les défauts, les éléments qu’il faudra perfectionner pour les fromages. Il y a donc un ensemble de techniques, de moyens technologiques dans un ordre donné pour évaluer un fromage. Donc, oui, je pense que la caséologie influence la perception. Car il y a une énorme différence entre prendre un morceau de fromage et le mettre en bouche, et prendre un morceau de fromage, le regarder, commencer à l’analyser, le sentir.
Puis couper le fromage, évaluer sa texture et ensuite faire travailler ses sens – sucré/salé, acide, amer, umami, et déterminer ce qui est mentholé, piquant, pimenté. On travaille ensuite sur la texture, puis la rétro-olfaction. Ce sont des techniques que les professionnels connaissent déjà très bien. C’est le même processus qu’en œnologie où l’on fait un premier nez, puis un second. C’est exactement ce qu’on applique à un fromage.
Depuis combien de temps cet art de la dégustation s’est professionnalisé ? Existe-t-il des experts en caséologie ?
On goûte du fromage depuis très longtemps. Les anciens, à force de goûter, avaient déjà une très grande connaissance. Le fait de se former, couplé avec une forme d’expérience, a peut-être une vingtaine d’années quand l’école française du fromage a commencé à introduire la caséologie. Il y a effectivement aujourd’hui des experts. Mais cette expertise se manifeste à différents niveaux. Un affineur de Comté, qui goûte ses fromages, fait de la caséologie. Et puis, il y a une personne comme Caroline Boquet, formatrice au Centre de Formation des Produits Laitiers. Elle forme des dizaines et des dizaines de fromagers à l’art de goûter. La caséologie débouche sur quelque chose d’intéressant : l’art de verbaliser, c’est-à-dire de communiquer son ressenti en étant le plus honnête et sincère possible sur les sensations.
Quels critères ou quelle méthodologie ?
Le premier sens est la vue. On va pouvoir déduire un certain nombre de choses que l’on voit à force d’expérience. Il faut ensuite faire intervenir les sens les uns après les autres. Si possible sans en omettre aucun. J’insiste personnellement sur le fait que l’odorat est le deuxième sens qui doit intervenir. On doit explorer le fromage sous “toutes ses coutures” : intérieur, extérieur. Et vérifier que les indications que l’on a reçues correspondent à la réalité.
Une fois senti l’intérieur puis l’extérieur du fromage, je goûte généralement l’intérieur du fromage pour définir le sucré/salé, acide, amer, umami. On active donc les papilles gustatives tout en palpant le fromage. C’est donc le toucher et le goût. Je goûte le croûtage de manière séparée pour voir s’il existe des divergences et convergences. Je termine par la longueur en bouche, l’apparition des arômes. Ce sont les arômes qui vont produire la rétro-olfaction. Je me concentre sur cette longueur. Voici en gros la technique à suivre en caséologie.
La caséologie joue-t-elle un rôle dans les méthodes de fabrication et de conservation ?
La caséologie ne va pas altérer un goût. Mais quelqu’un qui veut créer un fromage doit-il maîtriser cet art de la dégustation ? Évidemment, on doit goûter, faire des tests. Cela influe in fine. Savoir le déguster en tant que producteur ou affineur est essentiel. Mais il faut bien se connaître car on est pas tous égaux face aux goûts, avec des sensibilités différentes. En fait, cette technique est tout sauf objective ! La caséologie fait partie du processus de création d’un fromage.
Quels sont les défis majeurs auxquels la caséologie est confrontée ?
Des défis particuliers : l’art de déguster pour un professionnel est crucial pour choisir un produit et savoir le verbaliser puis les transmettre à un client. Le défi est donc d’être formé à cela. Il y a toute une nouvelle génération qui apprend à déguster. C’est un vrai enjeu car il faut être formé comme un sommelier ou un caviste. Le challenge est de ne pas être trop snob, mais je dois dire que c’est assez personnel. J’aimerais bien que l’on n’aie pas le côté élitiste que l’on trouve parfois dans la dégustation des vins. Car le fromage demeure un produit populaire et reste relativement accessible. Je préfère que l’on reste simple…